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Divorce et cryptomonnaies : les clés juridiques indispensables

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Divorce et cryptomonnaies : les clés juridiques indispensables
Volatiles, dissimulables et difficiles à évaluer, les cryptomonnaies compliquent les procédures de divorce. Cet article explore les enjeux juridiques liés à leur repérage, leur partage et leur fiscalité dans le cadre matrimonial.

Dans le cadre des procédure de divorces, les cryptomonnaies posent de nouvelles questions juridiques inédites. Ces actifs numériques, dématérialisés et souvent perçus comme anonymes, bouleversent les pratiques habituelles en matière de répartition patrimoniale. Que ce soit pour leur évaluation, leur localisation ou leur intégration dans le partage des biens, les époux et leurs avocats doivent faire face à des défis croissants.

Les cryptomonnaies, considérées par la loi française comme des biens meubles incorporels, viennent aujourd'hui complexifier les procédures de divorce, en particulier dans le cadre des  les régimes matrimoniaux communautaires. Leur nature dématérialisée, leur volatilité extrême et leur anonymat relatif créent des obstacles supplémentaires pour garantir une répartition équitable entre les époux.

Face à ces enjeux inédits, il est essentiel de comprendre les spécificités juridiques des cryptomonnaies, leur traitement dans le cadre des régimes matrimoniaux, ainsi que les stratégies pratiques pour les intégrer de manière loyale et sécurisée dans une procédure de divorce. C’est l’objet du présent article.


1. Les cryptomonnaies et les régimes matrimoniaux : un bien à part entière

Afin de poser un cadre clair, il convient d’abord d’analyser la nature juridique des cryptomonnaies et la manière dont elles sont appréhendées selon les différents régimes matrimoniaux.

1.1. Définition juridique des cryptomonnaies

Les cryptomonnaies, comme le Bitcoin ou l’Ethereum, sont définies par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) comme des actifs numériques décentralisés. Contrairement à l’argent traditionnel, elles ne sont pas émises par une banque centrale et ne constituent pas des monnaies ayant cours légal. Elles sont cependant reconnues comme des biens meubles incorporels selon le Code civil (article 529), et leur possession implique des droits patrimoniaux.

Ces actifs, encore récents dans le paysage juridique, s’intègrent dans un cadre en constante évolution, où la jurisprudence joue un rôle fondamental pour en préciser les contours. L’article 1401 du Code civil, qui régit les biens communs dans les régimes matrimoniaux, intègre les cryptomonnaies dans le patrimoine commun dès lors qu’elles ont été acquises durant le mariage. Leur dématérialisation, toutefois, rend leur identification plus délicate que celle d’un bien mobilier classique.

1.2. Traitement selon les différents régimes matrimoniaux

Les règles applicables aux cryptomonnaies varient sensiblement selon le régime matrimonial des époux. Leur qualification en tant que biens communs ou propres dépendra des modalités d’acquisition, de financement et de déclaration.

Dans le régime de la communauté réduite aux acquêts, les cryptomonnaies achetées durant le mariage sont présumées communes, sauf preuve contraire ou acquisition par succession/donation (art. 1405 C. civ.).

Dans le régime de la séparation de biens, chaque époux conserve ses actifs personnels. Toutefois, l’utilisation de fonds communs pour l’acquisition de cryptomonnaies peut ouvrir droit à une créance entre époux (art. 1479 C. civ.).

Dans le régime de participation aux acquêts, les cryptomonnaies restent des biens propres jusqu’au divorce, mais sont valorisées dans le calcul final du partage, notamment à travers l’analyse des plus-values réalisées.

1.3. Exemples jurisprudentiels

La jurisprudence commence à intégrer progressivement ces actifs dans les procédures de liquidation. À Paris, un époux avait dissimulé des portefeuilles électroniques détenus à l’étranger. Une expertise judiciaire a permis de les révéler, soulignant la nécessité de transparence dans la déclaration du patrimoine numérique.

Un autre contentieux a mis en évidence les difficultés liées à l’absence de traçabilité des fonds. Des époux mariés sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts se sont opposés quant au sort d’un portefeuille de cryptomonnaies ayant pris une valeur considérable. Faute de justificatifs précis établissant la provenance des fonds initiaux – et notamment l’origine propre ou commune de ceux-ci – la qualification des actifs numériques a donné lieu à un litige complexe lors de la liquidation du régime matrimonial. Cette affaire souligne l’importance capitale de documents financiers probants pour assurer une répartition conforme au droit.


2. La localisation et la preuve des cryptomonnaies : un défi croissant

Une fois leur existence juridique posée, encore faut-il pouvoir localiser ces actifs numériques et en apporter la preuve, une mission souvent ardue dans le cadre contentieux du divorce.

2.1. Le défi de la dissimulation

Les cryptomonnaies présentent des caractéristiques propices à la dissimulation : absence de registre central, pseudonymat des portefeuilles, portabilité sur clé USB ou cold wallet… Autant de facteurs qui peuvent encourager certains époux à soustraire une partie de leur patrimoine à la liquidation.

Cela peut naturellement poser des difficultés quel que soit le régime matrimonial adopté par les époux.

- Dans le cadre d'un régime communautaire :

En cas de dissimulation volontaire de cryptomonnaies relevant de la masse commune, l’article 1477 du Code civil s’applique : l’époux qui a diverti ou dissimulé des effets de la communauté est privé de sa part dans lesdits biens, il s'agit de recel de communauté. Autrement dit, les actifs numériques soustraits à la déclaration peuvent être intégralement attribués à l’autre époux lors du partage.

- En cas de régime de séparation de biens :

Contrairement aux idées reçues, le régime de la séparation de biens n’élimine pas les enjeux de transparence. Si un époux a acquis des cryptomonnaies à l’aide de fonds qui étaient en réalité communs ou issus d’un compte joint, l’autre peut revendiquer une créance entre époux, conformément à l’article 1479 du Code civil. En cas de dissimulation, cette créance peut être majorée ou valorisée rétroactivement lors de la liquidation des intérêts patrimoniaux.

Il est donc essentiel pour chaque époux d’être en mesure de justifier l’origine exacte des fonds utilisés lors de l’achat des actifs numériques. À défaut, le bien peut être requalifié et partagé.

- Responsabilité civile et sanctions pénales :

En outre, si la dissimulation entraîne un préjudice pour l’autre époux — comme une perte de chance de négociation ou une diminution de sa part — une action fondée sur l’article 1240 du Code civil peut être envisagée. Cette voie permet de rechercher la responsabilité personnelle de l’époux fautif, en réparation intégrale du préjudice subi.

Enfin, dans les cas les plus graves (transferts dissimulés à l’étranger, falsification de documents, intention manifeste de soustraction), certaines qualifications pénales peuvent être retenues : recel, abus de confiance, voire escroquerie, selon les éléments matériels réunis.

2.2. Méthodes de détection

Face à ces risques, plusieurs méthodes d’investigation sont à la disposition des praticiens du droit :

- Relevés bancaires : les virements vers les plateformes d’échange laissent des traces, même en cas de retrait ultérieur.
- Expertise informatique : des investigations sur les terminaux numériques permettent de détecter des applications, historiques de navigation ou portefeuilles électroniques.
- Ordonnances judiciaires : en application de l’article 11 du Code de procédure civile, le juge peut ordonner la production forcée de documents financiers suspects.

En effet, il est important de savoir que cet article du Code de Procédure Civil est un outil qui peut être puissamment utilisé en cas d'opacité financière puisqu' en vertu de l’article 11 du Code de procédure civile, le juge peut ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction légalement admissible, y compris la production forcée de documents financiers ou numériques. Cela permet, en cas de doute sérieux ou d’indices concordants, d’exiger la communication de relevés bancaires, de captures d’écran de portefeuilles électroniques ou d’accès aux historiques de transactions.

L’objectif est de garantir une information loyale et complète sur l’étendue réelle du patrimoine, dans le respect du principe d’équité entre les époux.


2.3. Jurisprudence pertinente

Dans une affaire jugée à Versailles en 2022, un époux avait dissimulé ses actifs sur une plateforme étrangère. L’examen de ses flux bancaires, ordonné par le juge, a permis de remonter jusqu’à la transaction initiale. Cette décision illustre à quel point la collaboration entre avocats et experts en blockchain devient stratégique pour garantir l’équité du partage.


3. L’évaluation des cryptomonnaies lors de la liquidation du régime matrimonial

Une fois identifiés, les actifs numériques doivent être évalués. Or, cette opération, simple en apparence, se révèle particulièrement délicate dans le cas des cryptomonnaies, en raison de leur volatilité extrême.

3.1. Difficultés liés à la volatilité

Les variations de valeur d’un Bitcoin ou d’un Ethereum peuvent être spectaculaires en l’espace de quelques jours. Cela pose la question fondamentale de la date de référence quant à l’évaluation.

L’article 1475 du Code civil prévoit que les biens doivent être évalués au jour de la dissolution du régime matrimonial. Toutefois, si les parties en conviennent autrement, une date antérieure ou postérieure peut être retenue, sous réserve de cohérence fiscale.

Dans tous les cas, la désignation d’un expert financier est vivement conseillée pour fixer une valorisation objective et éviter toute contestation ultérieure.

3.2. Implications fiscales

Outre les problématiques de valeur, l’enjeu fiscal est souvent négligé. Les plus-values réalisées lors de la cession des cryptomonnaies sont soumises à un impôt forfaitaire de 30 % (PFU). Cette charge fiscale peut avoir un impact significatif sur le montant à partager, en réduisant la liquidité disponible.

En cas de non-déclaration, les risques de redressement fiscal sont élevés, pouvant aller jusqu’à des amendes lourdes, voire des poursuites pénales pour fraude.

3.3. Illustration pratique

Prenons l’exemple d’un époux détenant 5 Bitcoins achetés pour 20 000 € et valorisés à 150 000 € au moment du divorce. La somme intégrale doit être intégrée dans la masse commune, la plus-value étant imposable à 30 %. Cette hypothèse illustre l’importance d’une approche à la fois comptable, juridique et fiscale.


4. Prévenir les conflits : conseils pratiques pour les époux 

Plutôt que de subir les conséquences d’une mauvaise anticipation, les époux et leurs conseils peuvent adopter des mesures de prévention efficaces pour encadrer la gestion des cryptomonnaies dans le couple.

4.1. Anticipation par le contrat de mariage

Le contrat de mariage est un outil stratégique. Il peut comporter une clause spécifique stipulant que les cryptomonnaies acquises avant ou pendant le mariage demeureront des biens propres. Une telle clause permet de désamorcer nombre de conflits potentiels.

4.2. Recours aux experts

La complexité technique des cryptomonnaies rend incontournable le recours à des professionnels spécialisés : experts-comptables, analystes blockchain… Leur apport est déterminant pour qualifier, évaluer et localiser les actifs.

4.3. Médiation et solutions amiables

Enfin, dans les situations les plus sensibles, la médiation permet d’éviter les lourdeurs judiciaires. Elle favorise un accord sur mesure, y compris sur les cryptomonnaies, souvent mieux accepté qu’un jugement contraint.

L’émergence des cryptomonnaies dans les procédures de divorce n’est pas une simple tendance : c’est une révolution juridique en cours. Leur nature dématérialisée, leur volatilité, leur fiscalité spécifique et les tentatives de dissimulation qu’elles permettent imposent aux professionnels du droit une vigilance constante.

En anticipant les risques dès la signature du contrat de mariage, en collaborant avec des experts techniques, et en adoptant une approche transparente et rigoureuse, il est possible de garantir une liquidation équitable, même en présence de cryptomonnaies.

Pour le cas où votre procédure de divorce impliquerait des actifs numériques de type cryptomonnaies, notre cabinet LMB-Avocats à PARIS peut vous accompagner avec une parfaite rigueur. Une analyse juridique adaptée à votre situation vous sera proposée, dans le respect des exigences patrimoniales et procédurales propres à ce type d’enjeux.